24.06.2014 Publié dans Contentieux, Marchés publics

OAB : l’article 55 ou la sanction ?

Le juge du référé précontractuel vient de sanctionner une collectivité qui n’avait pas mis en œuvre l’article 55 du CMP. Pour le magistrat, si les écarts de prix ne suffisent pas à caractériser une OAB, le pouvoir adjudicateur aurait dû demander des explications pour écarter tout doute.

« Quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toute précision et justifications de nature à expliquer le prix proposé et à permettre d’en vérifier la viabilité économique ». Dans le cadre du lot 1 du marché pour l’extension de l’école primaire de Laignelet, quatre sociétés ont soumissionné. La société Bati-Eco, déclarée attributaire, a déposé une offre à 45 044 euros. L’offre de la société Heude Bâtiment, arrivée deuxième, s’élève à 64 952 euros. Les sociétés classées troisième et quatrième ont, quant à elles, proposé un prix à 68 900 et 78 447 euros.

Pour la société Heude Bâtiment, qui a saisi le juge du référé précontractuel, cet écart de prix important entre les offres aurait dû mettre la puce à l’oreille de la commune. Elle aurait dû déclencher la procédure de l’article 55 du CMP et demander des explications à l’attributaire sur la formation de son prix. Pour le juge rennais, « si de tels écarts ne peuvent à eux seuls suffire à caractériser l’anormalité de l’offre de la société Bati-Eco 35, il appartenait néanmoins au pouvoir adjudicateur de demander à cette dernière de lui fournir des informations de nature à démontrer la viabilité économique de son offre et à écarter tout doute quant au caractère anormalement bas de son offre ». Dès lors, « en s’abstenant de demander à la société Bati-Eco 35 des explications sur le prix qu’elle proposait, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de mise en concurrence ». Par suite, l’entreprise requérante que seule l’application du critère prix avait fait passer 2ème, a été lésée par le manquement.

La preuve de l’OAB

« Cette ordonnance s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence actuelle (voir par exemple TA Cergy Pontoise, 18 février 2011, SCP Claisse et associés; TA Paris, 16 décembre 2010, Société Cave Canem Surveilance sécurité; TA Lille, 25 janvier 2011, Société nouvelle SAEE). Le pouvoir adjudicateur doit mettre en œuvre l’article 55 du CMP lorsqu’une offre lui paraît anormalement basse, commentent maîtres Julien Bonnat et Sophie Costard, avocats au cabinet Avoxa. L’obligation de mettre en œuvre cette procédure contradictoire va dans le sens de la nouvelle directive, dont l’article 69 dispose que « les pouvoirs adjudicateurs exigent que les opérateurs économiques expliquent le prix… », ajoutent-ils. La personne publique n’a donc pas de marge de manœuvre. En l’espèce, l’écart de prix était d’environ 35% ».

Selon maîtres Gaël Collet et Marie Delest, avocats au cabinet Ares Avocat, l’argument de la société n’est pas suffisant car elle se fonde sur la différence entre les prix. « Or dans ses conclusions, sous l’arrêt du 29 mai 2013 (CE du 29 mai 2013, ministre de l’intérieur c/ société Artéis), le rapporteur public, Bertrand Dacosta, avait estimé que le pouvoir adjudicateur ne pouvait se contenter du seul écart de prix. D’ailleurs, même un prix inférieur aux coûts de revient d’une entreprise ne serait pas nécessairement anormalement bas », observent-t-ils. Pour convaincre le magistrat, l’entreprise requérante s’est fondée, selon maîtres Bonnat et Costard, sur un faisceau d’indices. « L’entreprise ne s’est pas contentée du simple écart de prix. Elle a expliqué que l’offre de l’attributaire présentait un faible volume d’heures de main d’œuvre comparativement aux autres offres. De plus, elle a fourni une attestation d’un expert comptable indiquant qu’elle ne faisait pas de marge sur ce marché. Elle a en outre précisé qu’elle avait été attributaire du marché de construction de l’école en 2006 et que les prix à l’époque étaient identiques, sinon légèrement supérieurs à ceux qu’elle a proposés dans le cadre de ce marché. Ce qui a également joué en sa faveur, c’est le fait que la collectivité ne verse pas aux débats l’estimation du montant du marché qui avait été faite par le maître d’œuvre ce qui laissait à supposer que cette estimation était plus proche des autres offres remises que de celle de Bati-éco », développent Julien Bonnat et Sophie Costard.

L’office du juge du référé précontractuel

« L’article 55 impose de demander des explications lorsque l’offre paraît anormalement basse. Mais que se passe-t-il si l’attributaire apporte au cours de l’instance les justifications nécessaires ?, s’interrogent Gaël Collet et Marie Delest. « Le référé précontractuel est une procédure de plein contentieux. L’appréciation du manquement et de la lésion de l’entreprise se fait à la date à laquelle le juge statue. Or la jurisprudence relative aux articles 80 et 83 du CMP permet au juge de rejeter un moyen fondé sur une méconnaissance de ces dispositions si le pouvoir adjudicateur apporte les éléments en cours d’instance. De même, le juge peut soulever d’office l’irrégularité de l’offre d’un candidat pour rejeter sa requête alors même que la CAO n’a pas soulevé cette irrégularité », rappellent les avocats. Pour ces derniers, c’est ce courant jurisprudentiel empreint d’un certain pragmatisme que le juge aurait du appliquer ici. En revanche, pour leurs confrères, ce raisonnement par analogie ne peut fonctionner en l’espèce. « On ne se situe pas dans ces deux cas. Ce n’est pas l’offre de la société requérante qui est visée et considérée comme anormalement basse, mais celle de l’entreprise attributaire. En outre, il ne s’agit pas de permettre au candidat dont l’offre anormalement basse a été rejetée, de contester utilement le rejet de son offre ».

« Les éléments fournis en cours d’instance par l’attributaire sur la construction de son prix ont clos le débat sur l’article 55 du CMP. A notre sens, bien qu’il n’y ait pas d’arrêt du Conseil d’Etat faisant référence dans ce cas précis, le juge aurait donc dû plutôt rejeter le moyen au motif que l’entreprise ne pouvait être lésée. Au lieu de ça, il annule la procédure au stade de l’analyse des offres, précisent maîtres Collet et Delest. La collectivité aura alors la possibilité de déclarer sans suite ou si elle décide de poursuivre de demander des explications sur le fondement de l’article 55 du CMP. Les explications ayant déjà été produites devant le juge par la société attributaire, cela pose question sur les incidences pratiques de l’ordonnance », estiment les avocats.

Ordonnance refere TA RENNES du 24 04 14

Emmanuelle Maupin pour achatpublic.info©