Ces dernières années, le contentieux des contrats publics a connu une importante mutation. Après l’arrêt Tropic en 2007, la transformation du référé précontractuel en contentieux subjectif opéré par l’arrêt SMIRGEOMES en 2008, l’arrivée du nouveau référé contractuel et l’évolution de l’office du juge guidée par l’exigence de loyauté des relations contractuelles en 2009, le conseil d’Etat a créé en 2011 le nouveau contentieux de la résiliation des contrats publics.
Par un arrêt du 21 mars 2011 dit « Commune de Béziers II », la Haute juridiction abandonne sa jurisprudence traditionnelle en matière d’exécution des contrats et autorise désormais le juge à annuler une décision de résiliation et ordonner la reprise des relations contractuelles.
Avant, le juge ne disposait que du pouvoir de réparer les conséquences dommageables d’une décision de résiliation. Cette position était largement critiquée.
Aujourd’hui, le juge peut être saisi d’un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Ce recours doit être introduit dans les deux mois suivants la communication de la décision de résiliation.
La méthode du juge est la suivante. Tout d’abord, il vérifie que la reprise des relations contractuelles n’est pas devenue sans objet. Il évalue ensuite l’importance des vices relatifs à la régularité ou au bien-fondé de la résiliation. Pour déterminer s’il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, le juge doit, comme dans le cadre d’un recours Tropic, mettre en balance à la fois la gravité des vices constatés, les éventuels manquements du requérant, la motivation de la résiliation, l’intérêt général et, le cas échéant, les droits du titulaire du marché de substitution. Enfin, le juge autorise la reprise des relations contractuelles ou, à défaut, alloue des indemnités à l’entreprise. L’arrêt du Conseil d’État et les conclusions du Rapport public Madame CORTOT-BOUCHER ne laissant au juge que ces deux solutions alternatives, on suppose qu’a défaut de vices d’une particulière gravité, le juge doit se limiter à indemniser le cocontractant de l’administration.
S’il ordonne la reprise des relations contractuelles, le juge doit assortir sa décision d’une date de reprise – qui, en pratique, ne devrait être que rarement rétroactive – et allouer au requérant, le cas échéant, une indemnisation pour le préjudice que lui a causé l’inexécution du contrat entre la résiliation et la reprise des relations contractuelles.
Parallèlement à cette procédure au fond, le requérant peut également saisir le juge des référés d’une demande de suspension de la décision de résiliation et, par conséquent, d’une demande de reprise à titre provisoire des relations contractuelles.
C’est dans cette nouvelle procédure d’urgence, basée sur les dispositions de l’article L.521-1 du code de justice administrative, que réside tout l’intérêt pratique de la jurisprudence Béziers II.
Néanmoins, les conditions d’obtention une telle mesure de suspension sont restrictives. Le requérant doit en effet faire à la fois la démonstration d’une urgence à suspendre les effets de la résiliation et d’un doute sérieux quant à la légalité de cette résiliation. Concrètement, c’est la condition relative à l’urgence qui sera la plus difficile à démontrer et l’on ne peut, d’ores et déjà, s’empêcher de penser à la jurisprudence très restrictive rendue en la matière dans le cadre du référé-suspension Tropic.
Le Conseil d’Etat précise en effet que, pour apprécier la condition d’urgence, le juge des référés devra prendre en compte, d’une part, « les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l’exercice même de son activité, d’autre part l’intérêt général ou l’intérêt de tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation ».
Dans ses conclusions, Madame CORTOT-BOUCHER soumet la condition d’urgence à la démonstration par l’entreprise du péril économique qu’engendrerait la résiliation.
Le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes s’est d’ailleurs récemment approprié cette expression pour rejeter une demande de suspension :
« Considérant que s’il résulte de l’instruction que le montant cumulé des deux lots résiliés représente entre 15 et 17 % du montant du chiffre d’affaires annuel de la SARL L., il n’apparaît pas, nonobstant les difficultés économiques et sociales qu’elle est susceptible de connaître provisoirement, que la survie économique de la société soit mise en péril, compte tenu notamment des autres marchés dont elle assure l’exécution auprès d’autres collectivités publiques ; qu’il suit de là que la SOCIETE L. ne peut être regardée comme justifiant de l’existence d’une situation d’urgence au sens des dispositions précitées de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative que, par suite, ses conclusions à fin de suspension de l’exécution des décisions de résiliation et de reprise provisoire des relations contractuelles doivent être rejetées » (TA Nantes, Ord. 25 mai 2011, Société L., n°1104257).
On peut d’ores et déjà présager d’une interprétation restrictive de la notion de « survie économique » par le juge des référés. Il sera sans doute nécessaire que l’entreprise démontre un risque de cessation de paiements voire la mise en œuvre d’une procédure de redressement judiciaire.
L’appréciation restrictive de la condition d’urgence et la nécessaire gravité des vices allégués posent donc la question de l’efficience du référé-suspension et, plus globalement, de l’intérêt du nouveau recours « Béziers II ».
Si le juge des référés ne retient l’urgence que dans des cas (très) exceptionnels à l’instar du juge du recours Tropic, la reprise des relations contractuelles à titre provisoire ne sera rarement voire jamais ordonnée.
En outre, lorsque le juge du fond sera appelé à statuer, il est très probable que les conditions exigées par l’arrêt pour ordonner la reprise des relations contractuelles ne soient plus réunies.
Ainsi, dans la plupart des cas, le marché aura été entièrement exécuté de sorte que la reprise des relations contractuelles sera dépourvue d’objet.
Et, dans les rares autres cas, cette reprise des relations contractuelles portera vraisemblablement une atteinte trop importante aux intérêts du titulaire du marché de substitution et/ou à l’intérêt public.
Sous couvert d’un revirement de jurisprudence, on s’oriente donc probablement vers une nouvelle forme de contentieux indemnitaire des mesures de résiliation.
CE Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806, Conclusions de Madame Emmanuelle CORTOT-BOUCHER, Rapporteur public.
Article mis en ligne le 14 juin 2011