05.11.2010 Publié dans Contentieux, Marchés publics

Le référé contractuel : une nouvelle procédure d’urgence mort-née ?

Lorsqu’a été introduit en droit français la nouvelle procédure du référé contractuel par l’ordonnance du 7 mai 2009, les praticiens avaient pu légitimement y voir le renforcement des droits des candidats évincés conformément à l’esprit de la directive « Recours ». Aujourd’hui, force est de constater que l’application de ce nouveau référé par le juge n’est pas la hauteur de cette espérance.

1. SYNTHÈSE DE LA JURISPRUDENCE

A. L’office du juge du référé contractuel ou les trois alinéas de l’article L. 551-18 du CJA

L’article L. 551-18 du Code de justice administrative (CJA) énonce trois cas dans lesquels le juge prononce la nullité du contrat (terme d’ailleurs confondu avec celui d’annulation) : aucune mesure de publicité ou omission d’une publication au JOUE lorsque celle-ci est obligatoire (alinéa 1), méconnaissance des modalités de remise en concurrence pour les contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique (alinéa 2), signature avant l’expiration du délai de standstill qui s’impose à compter de l’envoi de la décision d’attribution ou signature avant l’expiration du délai de suspension qui court dès l’introduction d’un référé précontractuel (alinéa 3). Les cas visés aux deux premiers alinéas concernent des irrégularités extrêmement graves, peu constatées en pratique. C’est donc essentiellement le cas visé à l’alinéa 3, c’est-à-dire le non-respect du délai de standstill ou de suspension, qui est susceptible d’être le plus souvent invoqué devant le juge.

Mais comment comprendre les dispositions de ce troisième alinéa ? La signature du contrat en méconnaissance d’un délai de standstill ou de suspension constitue-t-elle un cas d’ouverture du référé contractuel, une hypothèse de recevabilité, une irrégularité grave sanctionnée par le prononcé de la nullité du contrat ou un des manquements pouvant être utilement invoqués devant le juge du référé contractuel ? Certains tribunaux considèrent que le non-respect du délai de standstill ou de suspension est une condition de recevabilité du référé contractuel (1). D’autres estiment qu’il s’agit d’un des trois cas dans lesquels le juge peut mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 551-18. En dehors de ces trois cas qui autorisent selon eux une annulation, ces tribunaux rejettent alors la requête comme non fondée (2). D’autres tribunaux considèrent encore que les trois hypothèses de l’article L. 551-18 constituent les seuls manquements opérants pouvant être utilement invoqués devant le juge du référé contractuel (3) et qui sont susceptibles d’entraîner le prononcé par lui de la nullité du contrat (4). Les autres manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence sont alors rejetés comme inopérants (5).

B. Le problème spécifique de la méconnaissance du délai de standstill en MAPA

Selon le tribunal administratif de Lille, le non-respect d’un délai de standstill ne permet pas de saisir le juge du référé contractuel (6) dans la mesure où l’acheteur n’est pas tenu de procéder à l’information du rejet des offres en procédure adaptée. Une signature même concomitante à l’envoi de la décision d’attribution n’est alors pas sanctionnée. Pour d’autres tribunaux, un délai de standstill raisonnable doit être respecté afin de permettre aux candidats évincés de former utilement un référé précontractuel. Le non-respect de ce délai permet au candidat évincé d’exercer un référé contractuel sans toutefois qu’il ne constitue une irrégularité sanctionnée par le prononcé de la nullité du contrat au titre de l’article L. 551-18 du CJA (7). A cet égard, un délai de standstill de plus de dix jours a été considéré comme raisonnable (8) et, a contrario, ont été jugés insuffisants un délai de huit jours (9) ou encore un délai de cinq jours incluant un week-end et un jour férié (10). D’autres tribunaux estiment encore que le non-respect d’un délai de standstill raisonnable en MAPA rend recevable la saisine du juge du référé contractuel et peut entraîner la nullité du contrat si les chances du requérant d’obtenir ledit contrat ont été affectées (11).

2. ANALYSE CRITIQUE DE LA JURISPRUDENCE

A. L’intérêt limité du référé contractuel

Le référé contractuel n’est pas le pendant du référé précontractuel

Le référé contractuel aurait pu être le pendant du référé précontractuel après la signature. Il peut être exercé à l’encontre des mêmes contrats (art. L. 551-13), vise également à sanctionner les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence (art. L. 551-14) et nécessite pareillement du requérant la démonstration d’un intérêt lésé (art. L. 551-14). Mais, en pratique, les irrégularités ouvrant la voie du référé contractuel sont beaucoup plus limitées que celles sanctionnées par le juge du référé précontractuel. Seules les violations les plus graves énumérées à l’article L. 551-18 permettent au juge du référé contractuel de mettre en œuvre ses pouvoirs. En outre, alors que le juge du référé précontractuel sanctionne généralement les manquements avérés par l’annulation de la procédure de passation, le juge du référé contractuel ne prononcera la nullité du contrat que dans les seules hypothèses de l’article L. 551-18. Le prononcé d’une telle nullité restera donc exceptionnel.

D’une part, le requérant devra démontrer que les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence qu’il invoque ont affecté ses chances d’obtenir le contrat (12), qu’il satisfait à la condition de l’intérêt lésé tirée de la jurisprudence SMIRGEOMES et reprise à l’article L. 551-14 du CJA (13) mais surtout que la violation des délais de suspension ou de standstill ne lui a pas permis d’intenter un référé précontractuel (14). A cet égard, la jurisprudence exige du candidat évincé qu’il démontre que le pouvoir adjudicateur a, par une manœuvre dolosive, signé le marché aux seules fins de le priver de son droit à un référé précontractuel effectif (15), preuve qui sera difficile à rapporter en pratique. Le juge refusera en outre de regarder le candidat comme ayant été privé de la faculté d’exercer un référé précontractuel lorsque le délai de standstill respecté par le pouvoir adjudicateur aura été suffisamment long et que le candidat aura attendu le dernier moment et donc la signature du contrat pour déposer un référé précontractuel, rejeté du fait de cette signature (16).

D’autre part, même si le requérant parvient à établir que l’ensemble des conditions rappelées ci-dessus sont réunies, il n’obtiendra pas forcément l’annulation du marché. Le juge pourra, en effet, décider de ne pas prononcer la nullité du contrat au nom de l’intérêt général et préférer alors la résiliation du contrat, la réduction de sa durée voire se contenter d’imposer des pénalités financières au pouvoir adjudicateur (art. L. 551-19), sanction qui ne présente aucun intérêt pour le candidat évincé.

Le référé contractuel n’est que le garant du respect des délais suspensifs

Alors qu’on pouvait légitimement penser que ce nouveau référé avait pour but de sanctionner tous les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence (art. L. 551-14) et ce, indépendamment du respect ou non des délais suspensifs, le juge administratif, interprétant de manière restrictive les nouvelles dispositions du CJA, estime que la voie du référé contractuel est fermée si les délais de standstill ou de suspension ont été respectés. Le référé contractuel ne présente alors d’intérêt que pour sanctionner une signature intervenue en méconnaissance de ces délais. Considérer comme certains tribunaux qu’en dehors des irrégularités visées à l’article L. 551-18 du CJA, le juge du référé contractuel ne dispose d’aucun pouvoir, prive d’effectivité le référé contractuel et fera qu’il ne sera que très rarement mis en œuvre. On peut en outre légitimement s’interroger sur la conformité d’une telle interprétation jurisprudentielle au regard de l’esprit de la directive « Recours » dont l’objectif était de lutter contre les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence mais aussi de renforcer les droits des concurrents évincés.

B. Les difficultés et interrogations suscitées par les nouvelles dispositions

La persistance, après signature, de manquements non sanctionnés

L’interprétation des dispositions du CJA faite par les tribunaux comporte deux effets pervers. Premièrement, l’acheteur pourrait être tenté de signer prématurément le contrat, en violation du délai de standstill, dans le seul but d’échapper au juge du référé précontractuel. Il s’exposera certes au contrôle du juge du référé contractuel mais craindra des sanctions moins sévères que l’annulation de la procédure comme, par exemple, une pénalité financière (dont on doute d’ailleurs qu’elle puisse atteindre un jour 20 % du montant hors taxes du contrat litigieux). Agissant de la sorte, l’acheteur pourrait également espérer que certains manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ne soient pas sanctionnés en raison de leur faible importance. Deuxièmement, des irrégularités révélées qu’après la signature, une fois que le contrat et les documents de la procédure deviennent communicables en application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, ne pourront pas être censurées par le juge du référé contractuel si le délai de standstill a été respecté. Eventuellement, ce n’est que plus tard, dans le cadre d’un recours « Tropic » en contestation de la validité du contrat, que de tels manquements pourraient être sanctionnés. Et même dans cette hypothèse, compte tenu de l’attention que le juge du fond porte à la stabilité des relations contractuelles, il n’est pas du tout certain que ces manquements aboutissent à l’annulation du contrat ; le juge pouvant décider, en fonction de l’importance et des conséquences des irrégularités constatées, la poursuite de l’exécution du contrat, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, l’annulation de la seule clause irrégulière ou la résiliation du contrat (17).

Un doute quant à l’intérêt des formalités d’achèvement de la procédure

Il existe désormais une contradiction flagrante entre les dispositions du CJA permettant de fermer la voie du référé contractuel ou d’en limiter le délai d’introduction et la jurisprudence qui considère que le référé contractuel n’est pas envisageable en dehors des irrégularités énoncées à l’article L. 551-18. En premier lieu, pour les MAPA notamment, le code permet au pouvoir adjudicateur de fermer la voie du référé contractuel en publiant au JOUE un avis relatif à son intention de conclure ce marché puis en respectant un délai de onze jours entre la date de publication de cet avis et la signature du marché (art. L. 551-15, alinéa 1er). Mais, compte tenu de la jurisprudence selon laquelle la voie du référé contractuel peut, de la même manière, être fermée par l’envoi aux candidats évincés de la décision d’attribution et le respect du délai de standstill, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de faire publier un avis d’intention de conclure, formalité d’achèvement de la procédure plus complexe et plus onéreuse que l’envoi d’une simple lettre recommandée. Les textes disposent, en second lieu, qu’en dehors des cas dans lesquels la publication d’un avis d’attribution est obligatoire, l’acheteur peut avoir un intérêt à faire publier un tel avis pour ramener le délai de recours du référé contractuel de six mois à un mois (art. R. 551-7). En pratique, étant donné qu’il suffit à l’acheteur de satisfaire à ses obligations de publicité (art. L. 551-18, alinéas 1 et 2) et de respecter le délai de standstill entre l’envoi de la décision d’attribution et la signature du marché (art. L. 551-18, alinéa 3) pour se mettre définitivement à l’abri d’un référé contractuel, on ne perçoit pas, là non plus, l’intérêt de faire publier un avis d’attribution au JOUE.

3. NOTRE INTERPRETATION

A. Retrouver l’effectivité du nouveau recours…

Les dispositions du CJA doivent nécessairement être interprétées dans le sens de leur compatibilité avec les objectifs fixés par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007. Aussi, l’article L. 551-18 aurait pu être interprété comme énonçant les trois irrégularités les plus graves pour lesquelles une sanction spécifique et automatique a été prévue : la nullité du contrat et ce, même si l’article L. 551-19 permet au juge de prononcer des sanctions moins importantes dans un but d’intérêt général. Les autres irrégularités, c’est-à-dire les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence autres que ceux mentionnés à l’article L. 551-18, feraient alors l’objet des sanctions visées à l’article L. 551-19 : suspension du contrat pendant l’instance, résiliation, réduction de la durée du contrat, pénalité financière, etc. Ainsi, même en dehors des cas de l’article L. 551-18, la voie du référé contractuel ne serait pas complètement fermée et il serait possible au candidat évincé de faire sanctionner tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence à condition que ce manquement ait été susceptible de le léser au sens de l’article L. 551-14 mais également que l’attitude du pouvoir adjudicateur ait affecté ses chances d’obtenir le contrat.

B. …tout en préservant le pouvoir d’appréciation du juge contractuel

L’article L. 551-18 est inséré au CJA dans la sous-section 2 « pouvoirs du juge » et non dans la sous-section 1 « nature et présentation du recours ». Cet article vise donc à encadrer les pouvoirs du juge lorsque celui-ci est en présence des irrégularités les plus graves et non, à présenter les trois cas dans lesquelles le référé contractuel est ouvert ; cas d’ouverture qui figurent à la sous-section 1.

De ce constat, il pourrait être déduit que le juge dispose d’une marge d’appréciation dans la mise en œuvre de ses pouvoirs et qu’il lui reviendrait donc, lorsqu’il constate un manquement, de choisir une sanction en fonction de la gravité de l’irrégularité commise ou de l’importance de la lésion causée. Cette liberté du juge quant au choix de la sanction est, d’ailleurs, clairement consacrée pour une hypothèse en particulier : celle visée à l’article L. 551-20 du CJA. Cet article pourrait, d’ailleurs, être réécrit afin de se distinguer plus nettement de l’article L. 551-18 du CJA visant les cas graves d’irrégularités entraînant la nullité du contrat. Sans être conditionné par la violation du délai de standstill ou de suspension, l’article L. 551-20 pourrait être libellé ainsi : « En dehors des cas prévus à l’article L. 551-18, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière« . Au final, les dispositions du Code de justice administrative seraient interprétées comme destinées à sanctionner les mêmes manquements que ceux sanctionnés par le référé précontractuel tout en prévoyant des sanctions différentes selon que le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence constaté figure ou non parmi les irrégularités graves visées à l’article L. 551-18 du CJA. Enfin, la publication d’un avis relatif à l’intention de conclure et la publication d’un avis d’attribution retrouveraient, dans ce cadre, tout leur intérêt pour fermer la voie du référé contractuel ou, du moins, limiter le délai de recours à l’encontre du contrat.

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1. TA Lyon, Ord., 26 mars 2010, Société Chenil Service : n° 1001296 :
2. TA Melun, Ord., 29 avril 2010, Association Vivre Vite : n° 1002057/2 – TA Nantes, Ord., 3 août 2010, Société OUEST AMENAGEMENT : n° 104899
3. TA Lille, Ord., 22 juin 2010, Société Applications Concept : n° 1003569 – TA Marseille, Ord., 8 juillet 2010, SCP ESCOM : n° 1004015 ; TA Lille, Ord., 13 août 2010, Société GINGER CEBTP : n° 1004695
4. TA Bordeaux, Ord., 28 juin 2010, SARL B. Electric : n° 1001950
5. TA Lille, Ord., 22 juin 2010, Société Applications Concept : n° 1003569
6. TA Lille, Ord., 22 juin 2010, Société Applications Concept : n° 1003569
7. TA Marseille, Ord., 8 juillet 2010, SCP ESCOM : n° 1004015
8. TA Nantes, Ord., 3 août 2010, Société OUEST AMENAGEMENT : n° 104899
9. TA Paris, Ord., 30 juillet 2010, Althing : n° 1012380
10. TA Strasbourg, Ord., 26 juillet 2010, Laboratoire CEVIDRA : n° 1003254
11. TA Strasbourg, Ord., 26 juillet 2010, Laboratoire CEVIDRA : n° 1003254 – TA Paris, Ord., 30 juillet 2010, Althing : n° 1012380
12. TA Bordeaux, Ord., 28 juin 2010, SARL B. Electric : n° 1001950 – TA Strasbourg, Ord., 26 juillet 2010, Laboratoire CEVIDRA : n° 1003254
13. TA Bordeaux, Ord., 28 juin 2010, SARL B. Electric : n° 1001950 – TA Strasbourg, Ord., 21 juillet 2010, Société ENERGEST : n° 1003146 – TA Paris, Ord., 30 juillet 2010, Althing : n° 1012380
14. TA Paris, Ord., 30 juillet 2010, Althing : n° 1012380
15. TA Strasbourg, Ord., 21 juillet 2010, Société ENERGEST : n° 1003146
16. TA Lyon, Ord., 3 septembre 2010, Société Berthelet Cars : n° 1004741
17. CE Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers : n°304802