Peu à peu, les cabinets d’avocats s’habituent à répondre aux appels d’offres lancés par les collectivités locales en matière de conseil juridique et de représentation en justice. Ces marchés de services sont encadrés par les nouvelles dispositions de l’article 30 du Code des marchés publics. Soumis au secret professionnel, contraint de s’unir le plus souvent avec d’autres prestataires et devant faire face, notamment, à la concurrence des services déconcentrés de l’Etat et des cabinets d’audit spécialisés, l’obtention de la commande publique est un parcours difficile pour l’avocat.
En annulant partiellement l’article 30 du Code des marchés publics, le Conseil d’Etat a précisé que les marchés de conseils juridiques qui y figuraient étaient désormais soumis à publicité et mise en concurrence. Pendant cinq mois, cette décision a constitué une véritable épée de Damoclès sur l’ensemble des marchés de services passés selon la procédure dite « allégée ».
Le Gouvernement a mis au fourreau cette épée par un décret du 24 août 2005. Dorénavant, l’article 30 du Code des marchés publics encadre la passation des marchés de prestations juridiques en distinguant les marchés de conseils juridiques des marchés de représentation en justice.
Les marchés de conseils juridiques doivent être soumis à des modalités de publicité et de mise en concurrence « tenant compte des caractéristiques du marché, notamment de son montant, de son objet, du degré de concurrence entre les prestataires de service concernés et des conditions dans lesquelles il est passé». Le plus souvent inférieurs à 230.000 €, les marchés de conseils juridiques sont soumis au respect des articles 43 à 45 et 51 du Code des marchés publics. En d’autres termes, les candidats-avocats doivent pouvoir justifier de « capacités professionnelles, techniques et financières » pour obtenir le marché.
Se pose alors la question des références professionnelles. La position du Conseil d’Etat est claire en la matière : « la production de références professionnelles par des avocats candidats à un marché public ne porte pas atteinte au secret régissant leurs relations avec leurs clients dès lors que les renseignements qu’ils apportent ne comportent pas de mention nominative et ne permettent pas non plus d’identifier les personnes qui ont demandé les consultations au travers d’indications sur les circonstances dans lesquelles les conseils ont été donnés ».
Le véritable problème est lié au fait que (malheureusement) les avocats ne sont pas les seuls à répondre aux marchés de conseils juridiques. Partenaires privilégiés des collectivités locales, les services déconcentrés de l’Etat soumissionnent depuis longtemps à l’obtention de ces marchés. Dans ces conditions, l’offre du candidat avocat est-elle étudiée par la personne publique avec autant d’attention que l’offre d’un candidat pouvant faire explicitement référence à sa clientèle (montant du marché, noms des interlocuteurs de la collectivité concernée, etc…) ?
La réponse est évidemment négative. En outre, les offres de prix des services de l’Etat fonctionnant sur les deniers publics sont bien inférieures à celles formulées par un cabinet d’avocats assujetti à de lourdes charges.
De même, les cabinets d’audit spécialisés dans l’assistance des personnes publiques formulent une offre globale de services juridiques, techniques et financiers là où le cabinet d’avocats doit répondre en groupement solidaire ou conjoint alourdissant d’autant ses charges de structures et donc son offre de prix.
Comment pallier alors à ces inégalités ? Faut-il solliciter l’exclusion des marchés juridiques du giron du Code des marchés publics comme l’a suggéré Maître Jean-Jacques Israël lors de la Convention nationale des Barreaux de Marseille ? Il me semble que non. Une telle suggestion n’est-elle pas en réalité dictée par le souhait de « protéger » une clientèle acquise depuis longtemps ? Les marchés de prestations juridiques doivent rester soumis à publicité et mise en concurrence. Les cabinets d’avocats doivent être choisis pour leurs compétences, leurs qualités humaines et leurs capacités techniques. Cependant, l’avocat doit pouvoir produire, avec l’accord des clients, des références vérifiables par les collectivités publiques. Pour déroger au principe du secret professionnel, le législateur pourra utilement s’inspirer du projet d’article 10-8 du Règlement Intérieur National permettant aux cabinets d’avocats de faire référence explicitement à leurs clientèles dans les plaquettes diffusées à l’étranger. Les Ordres quant à eux doivent défendre plus avant le « périmètre du droit » et ne pas hésiter à saisir le juge du référé précontractuel aux côtés des candidats-avocats illégalement évincés d’un marché public.
Les marchés ayant pour objet la représentation en justice d’une personne publique « sont soumis, dans le respect des principes déontologiques applicables à la profession d’avocat, aux seules dispositions du [Titre] I » du Code des marchés publics. En d’autres termes, quelque soit leur montant, ces marchés doivent respecter les principesfondamentaux de la commande publique, à savoir la « liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures » ainsi que le secret professionnel et l’indépendance de l’avocat. Une très grande marge de manœuvre est donc laissée aux collectivités locales pour choisir leur représentant et, en pratique, force est de constater que ces marchés ne font que rarement l’objet d’une véritable mise en concurrence. En outre, ces marchés ne sont pas soumis à l’obligation de transmission au contrôle préfectoral de la légalité. Un problème de taille subsiste : celle de la durée du marché. Les marchés publics sont soumis en effet à une durée maximum de quatre ans et ce, dans le souci d’une remise en concurrence périodique. Or, les litiges peuvent durer plus longtemps. Il faut espérer que le prochain Code des marchés publics qui devrait sortir en janvier 2006 prendra en compte cet aspect.