02.12.2011 Publié dans Contentieux, Marchés publics

Première application de la jurisprudence Béziers II

Trois mois après avoir rejeté pour défaut d’urgence la demande de suspension d’une mesure de résiliation de deux lots d’un marché de travaux, le TA de NANTES condamne au fond une mairie à verser 20 000 € d’indemnité à une entreprise de maçonnerie. Cette décision est intéressante dans la mesure où elle fait à la fois application de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Béziers I » relative à l’exigence de loyauté des relations contractuelles et de la jurisprudence « Béziers II » du 21 mars 2011 permettant au juge d’ordonner la reprise des relations contractuelles ou d’indemniser le préjudice de l’entreprise qui a vu son marché résilié illégalement.

Titulaire des lots « VRD » et « Gros œuvre » d’un marché d’extension d’une école, une entreprise a vu résilier ses contrats au motif du retard pris dans leur exécution. Même si les dispositions contractuelles étaient confuses quant à l’application du CCAG Travaux de 1976 ou celui de 2009, et en l’absence de précision en la matière dans les décisions attaquées, le tribunal a considéré que la résiliation avait été prononcée pour faute sur le fondement du c) de l’article 46.3.1 du CCAG Travaux 2009.

L’office du juge du référé « Béziers II »

L’entreprise requérante a tout d’abord sollicité du juge des référés la suspension des effets des décisions de résiliation. Les marchés de substitution n’étant pas passés, l’entreprise espérait voir ordonnée la reprise des relations contractuelles à titre provisoire.

Aussi, à l’audience, nous avons insisté sur un point qui nous apparaît essentiel : le juge des référés « Béziers II » ne doit pas concevoir son office à l’image de celui du référé « Tropic » et ne doit pas apprécier la condition de l’urgence de manière aussi restrictive.

Si le juge des référés « Béziers II » ne retient l’urgence que dans des cas (très) exceptionnels, la reprise des relations contractuelles à titre provisoire ne sera en effet jamais ordonnée.

Surtout, à défaut d’une suspension des mesures de résiliation, le juge du fond appelé à statuer ne pourra vraisemblablement pas non plus prononcer la reprise des relations contractuelles soit parce que le marché de substitution aura été entièrement exécuté et la reprise devenue sans objet ; soit parce que la reprise des liens contractuels portera une atteinte trop importante à la fois aux intérêts du titulaire du marché de substitution et à l’intérêt public. Le jugement au fond illustrera parfaitement cet état de fait.

Sans grande surprise il faut l’avouer, faisant sienne la jurisprudence « Tropic » et les préconisations en la matière de Madame CORTOT-BOUCHER, Rapporteur public dans l’affaire « Béziers II », le juge des référés a rejeté la requête de l’entreprise pour défaut d’urgence en considérant que, « nonobstant la difficulté économique et sociale qu’elle est susceptible de connaître provisoirement », sa survie économique n’était pas mise en péril.

A l’issue de l’audience, le juge avait toutefois indiqué aux parties que, s’il devait rejeter la requête pour défaut d’urgence, il s’engageait à ce que l’affaire vienne au fond rapidement.

Promesse tenue puisque l’affaire a été appelée trois mois après cette audience.

L’office du juge du fond « Béziers II »

Pour l’entreprise requérante, les décisions de résiliation étaient entachées d’illégalité tant sur la forme que sur le fond. Elle demandait en conséquence la reprise des relations contractuelles et, subsidiairement, l’indemnisation de son manque à gagner.

Dans son jugement, le Tribunal administratif reprend scrupuleusement le syllogisme énoncé dans l’arrêt « Béziers II ».

S’agissant tout d’abord de son office, le juge cite presque intégralement trois considérants de l’arrêt du conseil d’Etat avant d’étudier la légalité des décisions de résiliation lot par lot.

Si le tribunal a estimé régulière la résiliation du lot « Gros œuvre », il a jugé irrégulière celle relative au lot « VRD ».

Les juges nantais devaient alors statuer sur la demande principale de la requérante, à savoir la reprise des relations contractuelles.

Malgré l’illégalité de la résiliation du marché de « VRD », le tribunal a considéré que « compte tenu des relations particulièrement dégradées entre l’entreprise et la commune maître de l’ouvrage et son maître d’œuvre, de ce qu’un marché de substitution a été conclu en juillet 2011 et est en voie d’achèvement, et du retard que ne manquerait pas de provoquer un nouveau changement de l’entreprise intervenante sur le chantier, eu égard à l’état d’avancement de celui-ci, alors que les travaux restant à réaliser doivent être exécutés au plus vite pour que le fonctionnement de l’école puisse reprendre son cours normal, les conclusions de la SARL L. tendant à la reprise des relations contractuelles pour le marché correspondant au lot « VRD » doivent être rejetées ; »

Comme on pouvait s’y attendre, l’intérêt général lié au fonctionnement du service public de l’éducation et l’intérêt particulier de l’entreprise titulaire du marché de substitution s’opposaient à ce que l’entreprise revienne sur le chantier à l’issue d’un contentieux.

Dans ces conditions, on ne voit pas bien comment en pratique le juge du fond pourrait décider la reprise des relations contractuelles.

L’intérêt de la jurisprudence « Béziers II » sera-t-il exclusivement pécuniaire ?

L’appréciation de la légalité du lot « VRD » à l’aune de la jurisprudence « Béziers I »

A l’audience, le Rapporteur public a proposé au tribunal de soulever le moyen d’ordre public tiré de la nullité du contrat relatif au lot « VRD » au motif que la procédure de passation de ce lot aurait été irrégulière.

Selon lui, les travaux de « VRD » et de « Gros œuvre » faisaient l’objet d’un seul et même lot dans les documents de la passation, alors qu’ils avaient fait l’objet de deux marchés distincts après la remise des offres.

Dans une note en délibéré, l’entreprise requérante a fait valoir, d’une part, que la distinction de ces prestations en deux lots était tout à fait habituelle dans les marchés de travaux et que, pour preuve, les marchés de substitution avaient également distingué les travaux de « VRD » du « Gros œuvre ».

D’autre part, l’entreprise a rappelé au tribunal que le juge du référé précontractuel qui avait été saisi de la légalité de la passation des marchés de substitution n’avait pas relevé de manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence.

L’entreprise requérante a également soutenu que l’illégalité de la procédure de passation ne constituait plus une cause de nullité du contrat depuis la décision « Béziers I ».

L’entreprise a fait valoir, qu’à supposer même que l’illégalité de la procédure de passation puisse être considérée comme une cause de nullité que le juge peut soulever d’office, un tel moyen devait être soumis au contradictoire et ne pouvait pas être soulevé uniquement le jour de l’audience par le Rapporteur public sans que les parties puissent être à même de présenter leurs observations.

A l’audience, le Président s’était interrogé sur la possibilité de renvoyer à une audience ultérieure l’étude des conclusions indemnitaires.

Mais il n’a pas soulevé le moyen d’ordre public et le tribunal a finalement considéré que l’arrêt « Béziers II » prévoyait bien une alternative entre l’indemnisation et la reprise des relations contractuelles et qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer l’affaire sur son aspect indemnitaire.

Sur la légalité du lot « VRD », le tribunal n’a pas suivi les conclusions du Rapporteur public.

S’il a estimé que « la division en deux lots de ce même ensemble postérieurement au dépôt des offres, constitue une modification irrégulière des modalités de la consultation méconnaissant les règles de publicité et de mise en concurrence », il a néanmoins considéré que ce manquement n’était pas, « eu égard à sa nature et compte tenu de l’objet et des conditions d’exécution du marché, d’une gravité telle qu’il doive entraîner la nullité de celui-ci. »

Le tribunal a donc conclu que le litige relatif à la résiliation irrégulière du lot « VRD » ne pouvait être réglé que sur le fondement du contrat.

La sanction de la nullité du marché aurait eu de lourdes conséquences tant pour la collectivité au regard de la théorie de l’enrichissement sans cause que pour l’entreprise qui aurait alors été contrainte d’engager une nouvelle procédure en responsabilité extracontractuelle.

L’indemnisation du préjudice de la requérante

Pour justifier de son préjudice, la société requérante avait avancé une perte de marge de 20% et sollicité au titre du lot « VRD » la somme de 28 000 € TTC.

Le tribunal a considéré que le préjudice de l’entreprise représentant « la perte subie et le manque à gagner » devait être fixé à la somme de 20 000 €.

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