15.09.2009 Publié dans Marchés publics, Passation

Article 59-1 du CMP : gare à la violation des principes de transparence et d’égalité des candidats

En mars 2009, la communauté d’agglomération de Saint-Brieuc a lancé, sous la forme d’un appel d’offres ouvert, une consultation en vue de passer un marché « secteurs spéciaux » relatif à la fourniture et la mise en service d’un système de priorité des bus aux carrefours à feux sur les villes de Saint-Brieuc et de Trégueux ; système permettant d’améliorer la régularité et la vitesse du réseau de transports en commun.

La société COMATIS, entreprise spécialisée dans la radio transmission numérique pour des applications industrielles fixes ou mobiles, a présenté une offre qui n’a pas été retenue.

Estimant qu’elle avait été illégalement évincée, elle a saisi le juge du référé précontractuel rennais.

La société requérante observait que les prescriptions techniques contenues au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) avaient pour effet de limiter la concurrence, que les dispositions de l’article 59-I du code des marchés publics avaient été méconnues et que l’entité adjudicatrice avait porté atteinte au principe de transparence non seulement en introduisant un nouveau critère de sélection après la remise des offres mais aussi en ne pondérant pas les éléments d’appréciation de la valeur technique qui constituaient en réalité de véritables sous-critères et, enfin, en portant atteinte au principe d’exclusivité des critères.

Par ordonnance du 10 juillet 2009, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a fait droit à la demande de la société COMATIS en annulant la procédure de passation du marché.

Et c’est un moyen peu fréquemment retenu qui a entraîné cette annulation : la méconnaissance de l’article 59-I du Code des marchés publics constitutive d’un manquement aux principes de transparence et d’égalité des candidats.

Retour sur les spécifications techniques prévues au marché

Le CCTP joint à la consultation précisait que les bus étaient déjà équipés d’un Système d’Aide à l’Exploitation et à l’Information des Voyageurs (SAEIV) installé en 2005-2006 par une entreprise concurrente. Le CCTP prévoyait que le Module de Demande de Priorité aux Feux (MDPF) s’interfacerait avec le SAEIV existant et traiterait des données provenant de ce SAEIV.

La société COMATIS soutenait que de telles prescriptions techniques qui imposent le couplage des deux systèmes (MDPF et SAEIV) et rendent ainsi nécessaire l’adaptation du système de priorité aux feux au SAEIV existant, avaient pour effet d’avantager un seul candidat : l’entreprise ayant préalablement installé le SAEIV. Cet avantage constituait une restriction déguisée à l’accès à la commande publique. Au final, c’est d’ailleurs l’entreprise qui a réalisé l’installation du SAEIV dans les bus de l’agglomération briochine qui a été désignée titulaire du marché.

Si le juge n’a pas retenu cet argument de l’avantage pro-concurrentiel, la reprise in extenso dans son ordonnance des prescriptions techniques du CCTP relatives à l’interfaçage des deux systèmes nous conduit à penser qu’il l’a néanmoins pris en compte dans l’examen du moyen retenu pour annuler la procédure.

Une interprétation stricte de l’article 59-I du Code des marchés publics

* L’objet des demandes de précisions ou de compléments d’information

Aux termes de l’article 59-I du Code des marchés publics : « il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre ».

En l’espèce, après le dépôt des offres, la communauté d’agglomération de Saint-Brieuc a demandé à la société COMATIS des précisions sur un certain nombre de points concernant les modalités techniques et financières de son offre.

Elle lui a demandé en particulier si le système qu’elle proposait pouvait être opérationnel sans interface avec le SAEIV et à quelles conditions.

La société COMATIS a répondu que son système de priorité des bus aux carrefours à feux pouvait fonctionner indépendamment du SAEIV et a même chiffré le coût de cet aménagement technique.

Pour la société COMATIS, cette réponse est à l’origine de son éviction.

Elle soutient que le fonctionnement du système de priorité des bus en indépendance avec le SAEIV a été érigé en nouveau critère de jugement des offres non prévu au dossier de consultation mais surtout contraire au CCTP qui exigeait la liaison des deux systèmes.

Si le juge ne va pas jusqu’à considérer que la question posée a eu pour effet d’introduire un nouveau critère de sélection, il retient néanmoins l’argument selon lequel la réponse à cette question emportait pour conséquence directe la modification substantielle de l’offre initiale et ce, en violation de l’article 59-I du Code des marchés publics.

Le juge rappelle tout d’abord que : « les collectivités publiques sont seulement autorisées à demander aux candidats des précisions ou des compléments d’information sur leurs offres ».

Il ne s’agit là que de corriger de simples erreurs matérielles ou d’apporter des rectifications minimes.

Les demandes de précisions ou de compléments ne doivent pas avoir pour effet d’amener les candidats à apporter des modifications trop importantes à leur offre en raison de son caractère irrévocable. Le Conseil d’Etat considère en effet qu’une modification des offres par le biais de compléments demandés par la commission est illégale[1].

En l’espèce, pour répondre à la question posée, la société requérante devait nécessairement indiquer les conditions dans lesquelles le système de priorité aux feux pouvait fonctionner indépendamment du SAEIV alors que dans son offre, conformément aux exigences du CCTP, elle avait présenté un système de priorité aux feux en interface avec le SAEIV.

Le juge des référés précise ensuite : « a fortiori, une telle demande [de précision] ne peut avoir pour effet de rendre non conforme aux documents de la consultation une offre régulièrement présentée ».

* L’obligation de respecter l’égalité de traitement entre les candidats

Si la personne publique adjudicatrice peut adresser des demandes de précisions ou de compléments d’information ce n’est que sous réserve de respecter l’égalité des candidats.

Le Conseil d’Etat juge en effet que l’administration doit assurer entre les candidats une stricte égalité lorsqu’elle leur demande des précisions complémentaires[2].

Le juge des référés considère en l’espèce qu’il n’est pas établi que l’ensemble des candidats a été rendu destinataire des mêmes questions que celles posées à la société COMATIS et en déduit une rupture d’égalité entre lesdits candidats.

Un manquement à l’article 59-I qui a lésé les intérêts de la société requérante

Le magistrat s’appuie sur les motifs du rejet de l’offre contenus dans le courrier en réponse de la communauté d’agglomération à la demande formée par la société requérante au titre de l’article 83 du Code pour indiquer que « l’entité adjudicatrice a apprécié l’offre de la société COMATIS en fonction des réponses apportées par la société aux questions posées ».

Or, la jurisprudence estime que si, à l’occasion de réponses faites aux demandes de l’acheteur public, les modifications apportées par un candidat à son offre initiale ont été de nature à influer sur l’appréciation de la commission d’appel d’offres et donc, sur le choix de l’attributaire du marché, il y a lieu de considérer que la demande de précisions ne respecte pas les prescriptions de l’article 59-I du Code des marchés publics et que la commission s’est prononcée dans des conditions irrégulières[3].

Pour le juge rennais, le manquement à l’article 59-I du Code des marchés publics est établi et a bien lésé la société requérante.

En effet, la circonstance que la commission d’appel d’offres ait pris en compte les réponses apportées par la société COMATIS aux questions qui lui avaient été posées et auxquelles n’ont pas eu à répondre les autres candidats, « n’a pas pu permettre une comparaison réelle de l’ensemble des offres sans affecter, à son détriment, leur mise en concurrence ».

Pour retenir que la société requérante a été lésée, le juge aurait également pu considérer que les conditions du fonctionnement du système de priorité des bus indépendamment du SAEIV avaient été érigées en nouveau critère d’attribution pendant l’analyse des offres ; critère ayant conduit à l’éviction de la société COMATIS.

Même si cet aspect est prégnant dans l’ordonnance, le juge des référés n’a pas été jusque là.

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[1] CE, 8 avril 1998, Préfet de l’Aube : req. n° 167372

[2] CE, 17 juin 1996, Préfet région Île-de-France c/ Ville de Paris et Société d’entreprise générale : req. n° 136957 Rec. CE 1996, p. 230

[3] CE, 26 octobre 1994, SIVOM des communes de Carry-le-Rouet et Sausset-les-Pins : req. n° 110959

Co-rédaction Maître Sophie COSTARD